A l’occasion de la Journée de la lutte contre la pauvreté du 17 octobre, il a été rappelé combien la situation reste préoccupante dans notre Région. Près d’un tiers des personnes vivent avec un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté, près d’un quart des enfants grandissent dans un ménage sans revenu du travail et le taux de chômage reste élevé, en particulier parmi les jeunes, les personnes faiblement scolarisées et les ressortissants non-européens.
La pauvreté entraîne des inégalités, notamment en matière d’accès au logement, aux soins de santé et à l’enseignement mais aussi des freins en termes de participation aux activités sportives, culturelles et à la transition écologique, en particulier alimentaire et énergétique. C’est sur ce dernier point, celui concernant la précarité énergétique, que j’aimerais vous interroger à travers cette question orale.
La précarité énergétique désigne l’état de précarité de personnes, familles ou groupes n’ayant pas un accès normal et régulier dans leur logement ou lieux de vie aux sources d’énergie nécessaires à la satisfaction de leurs besoins primaires, par exemple à cause de bâtiments mal isolés contre le froid ou la chaleur, ou à la suite de l’inadaptation ou du prix des ressources énergétiques.
En mars dernier, la plateforme de lutte contre la pauvreté énergétique gérée par la Fondation Roi Baudouin a publié la 5ème édition de son baromètre de la précarité énergétique. Selon celui-ci, en 2017 près de 22 % des ménages belges ont été touchés par l’une ou l’autre forme de précarité énergétique.
Le calcul de la précarité énergétique se décline sous trois formes:
· la précarité énergétique mesurée qui permet de mettre en lumière les ménages pour lesquels la part des revenus consacrés aux dépenses énergétiques est jugée trop importante;
· la précarité énergétique cachée qui mesure l’inverse, soit la part des ménages qui restreignent volontairement ou non leur consommation d’énergie en-deçà d’un seuil jugé acceptable pour pouvoir vivre dignement ;
· et la précarité énergétique ressentie qui exprime le pourcentage de ménages qui déclarent ne pas avoir les moyens financiers pour chauffer correctement leur logement.
D’après le baromètre précité et selon les chiffres repris pour l’année 2017, en Région bruxelloise, 12,1% des ménages sont touchés par la précarité énergétique mesurée et dépenseraient 47,7 euros de trop chaque mois, ce qui est légèrement inférieur aux autres Régions. En revanche, ils sont 9,9% à souffrir de précarité énergétique cachée, contre 3,1% en Flandre et 3,7% en Wallonie. Enfin, ils 10,9% des ménages déclarent avoir des difficultés pour chauffer leur logement à Bruxelles, la moyenne nationale étant de 6,2%.
La situation en matière de précarité énergétique reste donc préoccupante. Le baromètre relève également un lien entre le régime d’occupation du logement et la précarité énergétique. Ainsi, l’écart entre propriétaires et locataires se creuse nettement. Cela s’explique notamment par le coût de plus en plus élevé des loyers, qui réduit les revenus disponibles, et donc la part accordée aux dépenses énergétiques. Plus largement, ce sont sans surprise les ménages déjà précarisés qui sont victime de précarité énergétique. Pensons aux familles monoparentales, où dans la majorité des cas le parent unique est une femme, aux personnes âgées isolées ou encore aux locataires de logements sociaux.
Dans ce contexte, Monsieur le Ministre, mes questions sont les suivantes :
· Quelle est la proportion des ménages les plus vulnérables dans l’accès aux primes énergie?
· Combien de ménages ont-ils pu bénéficier en 2019 du prêt vert bruxellois?
· Est-ce que homegrade.brussels et les autres services d’accompagnement pour les questions énergétiques ont une approche spécifique pour l’accompagnement des ménages les plus vulnérables?
· D’une manière générale, quelles sont vos priorités concernant les mesures à mettre en place ou à renforcer visant à lutter contre la précarité énergétique?
La réponse du Ministre:
Les chiffres que vous évoquez illustrent effectivement une situation préoccupante.
A l’instar des causes multiples citées à l’origine des situations de précarités énergétiques, les solutions à y apporter sont transversales et globales, à savoir :
· L’accompagnement des ménages fragilisés de façon globale et sur la durée (en ce compris la protection des consommateurs),
· La mise en place d’une politique de l’amélioration du logement,
· La répartition équitable du coût de la transition énergétique.
L’accompagnement des ménages est indispensable tant il est complexe de s’y retrouver parmi les réglementations, les aspects techniques, les documents et la multitude d’acteurs. La situation des ménages en précarité énergétique dépasse fréquemment les questions de gaz et d’électricité. L’énergie devient un obstacle supplémentaire s’entremêlant, entre autres, avec les problèmes de logement, de santé ou de budget, etc. La lutte contre la précarité énergétique relève donc principalement du travail social et concerne tant les acteurs du logement, de l’énergie que du social ou de la santé. Elle nécessite une approche intégrée et durable dans le temps afin de répondre aux multiples besoins des ménages fragilisés.
Afin d’appuyer ces travailleurs et services de proximité, le gouvernement soutient un dispositif transversal d’accompagnement « énergie » des ménages fragilisés. Ce dispositif repose principalement sur le Centre d’Appui Social Energie et les cellules Energie des CPAS. Les missions spécifiques d’Infor GazElec et de la Fédération des CPAS complètent ce dispositif d’accompagnement social-énergie des ménages fragilisés. Homegrade et le Réseau Habitat collaborent activement avec ces acteurs afin d’assurer une prise en charge répondant aux besoins des ménages précarisés. Ces différents projets aux missions complémentaires contribuent au dispositif d’accompagnement des publics fragilisés sur les questions énergétiques de la manière suivante :
· Le Centre d’Appui Social Energie de la Fédération des Services Sociaux a pour mission de soutenir les travailleurs sociaux dans l’accompagnement « social-énergie » des ménages fragilisés. Ce soutien prend la forme de formations, de développement d’outils et de permanences téléphoniques visant notamment à renforcer les compétences en matière d’énergie des travailleurs sociaux de première ligne.
· Le subside aux « services énergies » des 19 CPAS régionaux est octroyé afin de réaliser une série de missions de guidance sociale confiées par les ordonnances « gaz » et « électricité ».
· Le Centre d’Information aux consommateurs de Gaz et l’Electricité informe et accompagne les bruxellois en ce qui concerne les marchés de l’énergie (choix d’un fournisseur, d’un contrat, compréhension des factures, démarches administratives à effectuer, …), leurs droits et leurs obligations, la gestion d’un litige avec Sibelga ou un fournisseur d’énergie, les procédures en justice, etc. Il veille également à la défense des droits des consommateurs au sein du Conseil des Usagers du gaz et de l’électricité.
· La Fédération des CPAS au travers de sa « Task Force énergie et eau » a mis en place des groupes de travail traitant de l’énergie et l’eau, basés sur la concertation entre les différents CPAS de la Région bruxelloise. Elle permet notamment de coordonner les missions « énergie » et « eau » confiées aux CPAS par les ordonnances.
· Homegrade et le Réseau Habitat conseillent et accompagnent les bruxellois sur la thématique de l’énergie et du logement tout en collaborant avec les acteurs sociaux le cas échéant. Le Réseau Habitat a développé, de par son implantation en Zone de Revitalisation Urbaine (ZRU), une expertise dans l’accompagnement énergie des ménages précarisés.
Le dispositif d’accompagnement existant répond théoriquement aux problématiques des bruxellois. Cependant, le secteur de l’aide socio-énergétique dans sa globalité se caractérise par une multiplicité d’acteurs institutionnels, gouvernementaux, associatifs et privés affichant des services différents. Il est donc important à mes yeux de renforcer la coordination entre ces acteurs ainsi que leur notoriété en communiquant davantage sur leurs missions auprès du grand public, d’assurer la proximité des services d’information et d’accompagnement (dans toute la région) ou encore de simplifier les documents administratifs (factures d’énergie, rappels, mises en demeure, …) et les démarches administratives. A titre d’exemple, je travaille, avec mes homologues, à un rapprochement des primes énergie et des primes à la rénovation de l’habitat. La Journée Bruxelloise des acteurs du secteur social, de l’énergie et de l’eau organisée en septembre 2019 et soutenue par Bruxelles Environnement illustre également cette volonté de soutenir la coordination du secteur.
Les ménages fragilisés peuvent s’appuyer sur des aides financières pour la rénovation de leurs biens. En 2019, 225 demandes de Prêt Vert Bruxellois ont été octroyées. Les ménages à faibles revenus (catégorie C) représentaient 45% des demandes de primes énergies octroyées et 67% du budget octroyé aux ménages en 2019. En termes de nombre et de montant, cela correspond à 3.979 primes octroyées pour un montant total de 8,6 millions €.
Quant à la protection des consommateurs, une série de mesures existe déjà en Région de Bruxelles-Capitale. Cependant, les retours de terrain indiquent que certaines zones du territoire bruxellois ne sont pas suffisamment couvertes par l’offre de services « social énergie » de type visite à domicile ou accompagnement personnalisé. On constate, en outre, un phénomène du « non-recours aux droits », à savoir que trop de personnes encore ne font pas valoir leurs droits : se présenter en justice de paix pour se défendre, porter plainte lors de démarchages abusifs, bénéficier du statut de client protégé, faire appel aux services sociaux existants, etc.
Bruxelles Environnement va réaliser, en collaboration avec les acteurs concernés, une cartographie des acteurs et un état des lieux de l’offre d’accompagnement social-énergie en Région de Bruxelles-Capitale. L’analyse tâchera de caractériser le phénomène de « non recours aux droits » afin d’y proposer des projets.
Rappelons également que les travailleurs sociaux des services de proximité sont confrontés à l’urgence des situations rencontrées par les usagers et font face à des ressources limitées. L’accompagnement offert s’inscrit dès lors généralement dans une logique curative, individuelle et ponctuelle. Cette approche est nécessaire mais non suffisante. Un accompagnement préventif et structurel apporterait des solutions plus durables pour les ménages concernés.
La nécessité de l’amélioration du logement, quant à elle, est indissociable des défis climatiques et sociaux auxquels la Région est confrontée et pour lesquels le Gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre la Stratégie de rénovation durable du bâti bruxellois. Cette stratégie de rénovation vient compléter la politique du logement. Cette politique de rénovation sera également, comme le prévoit la Déclaration de Politique Générale, « le reflet de la politique sociale du Gouvernement, en concentrant prioritairement l’aide au financement sur les revenus modestes et moyens et la lutte contre la précarité énergétique ». Différentes mesures, détaillées dans la stratégie rénovation contribueront à accroitre l’efficacité énergétique du parc de logement locatif tout en garantissant l’effectivité du droit au logement et donc in fine contribuer à la lutte contre la précarité énergétique.